Article paru dans L’Ecole Syndicaliste n°333, novembre 2003

 

 

L’école maternelle dans le collimateur de la réforme

 

 

 

“Qu’est-ce qu’on doit attendre de l’école maternelle? Faut-il scolariser les enfants dès l’âge de deux ans ? Faut-il faire évoluer l’organisation de la maternelle ? Faut-il renforcer le rôle de préparation au CP de la grande section de maternelle ? Est-ce le même métier en maternelle et en primaire ? En particulier faut-il un professeur des écoles recruté à bac + 3 pour encadrer de jeunes enfants de deux et trois ans ? ».

 

Le moins qu’on puisse dire, c’est que les questions relatives à l’école maternelle dans le cadre du grand débat sont orientées et laissent présager de ce que nos gouvernants veulent en faire.

D’ailleurs, le terrain est préparé par toute une série de déclarations qui sont sans ambiguïté et qui ne s’embarrassent pas de fioritures pour tenter de démolir ce qui constitue l’un des plus beaux fleurons de notre système scolaire.

 

A commencer par le ministre délégué à l’enseignement scolaire qui déclarait le 4 novembre dernier à l’Assemblée nationale :

“Dans notre pays, 32 % des enfants sont pré-scolarisés à deux ans. Or toutes les observations montrent que cette pré-scolarisation bénéficie surtout aux enfants des familles de cadres, ainsi qu’aux enfants d’immigrés, et n’a pas d’impact sur la suite de la scolarisation…”

 

 

À propos de la mise en place des commissions départementales de l’accueil des jeunes enfants de 0 à 6 ans.

 

Le Snudi FO avait déjà tiré la sonnette d’alarme  lors de la publication du décret du 1er août 2000 modifiant le Code de la santé publique pour organiser le développement de “structures d’accueil de la petite enfance de 0 à 6 ans“ mettant ainsi l’école maternelle publique et gratuite en concurrence avec d’autres structures décentralisées de garde de la petite enfance.

Mais, Mme Ségolène Royal a eu beau réserver 1,5 milliard pour lancer son “nouveau produit“, rien n’y a fait: l’attachement à l’école maternelle publique a été le plus fort. Quelques initiatives de collectivités locales ou privées qui ont vu le jour. Le plus souvent en substitut au nombre très insuffisant de places dans les crèches publiques ou face au refus de scolariser des enfants de deux ans (1). En s’appuyant sur la loi d’orientation de 1989 qui limitait ce droit à partir de trois ans...

 

Le décret n°2002-798 du 3 mai 2002 “une commission départementale de l’accueil des jeunes enfants de 0 à 6 ans“ pour développer des structures d’accueil de la petite enfance concurrentes de l’école maternelle publique, laïque et gratuite.

 

Cette “commission“ doit associer le Conseil général, la Caf, le préfet, des maires ou présidents d’EPCI (Etablissements publics de coopération intercommunale), des représentants d’associations ou d’organismes privés (article 8), l’Udaf (Union départementale des associations familiales), des représentants d’entreprises désignés par la chambre de commerce et d’Industrie (article 12).

Les confédérations syndicales sont invitées à participer. Son but : développer d’autres structures que les crèches publiques (où le manque de places est considérable) et l’école maternelle de l’Education nationale (où la scolarisation des 2-3 ans régresse depuis deux ans).

 

“Flexibilité”

Le décret dit nettement (articles 2 et 3 en particulier) qu’il s’agit “d’adapter“ l’accueil des enfants “aux contraintes des parents“, “notamment les contraintes professionnelles“. Le décret ne précise jamais “en dehors du temps scolaire“.

Autrement dit, ce décret, comme celui du 1er août 2000, veut des structures d’accueil (garderies) qui facilitent la flexibilité des horaires de travail des parents que la loi Aubry sur les 35 heures a voulu généraliser à toutes les catégories de salariés.

Ne comprend-on pas mieux la présence des organismes privés et de la chambre de commerce et de l’industrie dans ces “commissions départementales“?

Le Conseil général, les élus locaux et la Caf sont ainsi appelés à participer aux financements de ces structures où “la flexibilité des horaires“ sera la marque générale.

 

Concurrence intéressée ?

N’est-ce pas un bon moyen de faire disparaître quelques milliers de postes d’enseignants des écoles maternelles dans les années qui viennent pour obéir aux directives européennes de réduction des dépenses publiques par le moyen des transferts de compétences de l’Etat ?

En France, pour tous les parents d’enfants de 2 à 6 ans (2) il existe une école maternelle, accessible à tous gratuitement, avec des enseignants, fonctionnaires d’Etat, garants de l’égalité des droits, de    l’unité du service publique et de sa qualité sur l’ensemble du territoire. Tout le monde nous envie cette école.

Sauvegardons-là.

Si rien n’interdit, en dehors du temps scolaire, que soient prévues et organisées des “garderies“, comme c’est le cas dans de nombreuses communes, il est tout à fait inacceptable que l’Etat (en utilisant la Caf) aide au développement, pendant le temps scolaire, de structures concurrentes à notre école maternelle qui doit disposer des moyens pour scolariser les enfants, de 2 à 6 ans, dont les parents en font la demande, et dans de bonnes conditions (25 élèves maximum par classe, 15 dans les petites sections).

 

Pour FO, l’Etat et la Caf ne peuvent encourager le développement de structures locales ou privées qui seraient appelées à se développer au détriment des écoles maternelles.

 

 

La scolarisation des enfants de 2 ans : parlons-en

 

La défenseure des enfants, Mme Claire Brisset a remis, mercredi 19 novembre, son rapport annuel au Président de la République.

Elle insiste notamment sur les conditions d’accueil des 2-3 ans : “Nombre d’enseignants déplorent la pauvreté de leur formation, initiale notamment (…), au travail à l’école maternelle et plus encore dans les classes de moins de 3 ans (…). Les indispensables Atsem sont très souvent en nombre insuffisant, de qualification hétérogène (il n’y a pas de référent national) ou “doivent se partager” entre plusieurs classes de maternelle. Elle poursuit : “ces classes, sont, en fait, pas strictement réservées aux moins de 3 ans et mélangent des âges différents”, ce qui “accentue toutes les difficultés de respect des rythmes et de travail pédagogiques.(…)” Les enseignants estiment que “dans ces classes hétérogènes ou uniques, les petits sont généralement sacrifiés au profit des plus grands”.

 

Voilà un constat que nous pouvons partager. Par contre, nous ne pouvons être d’accord avec les conclusions qu’en tire Mme Brisset qui préconise de “cesser de développer l’accueil des enfants de deux à trois ans en maternelle dans les conditions actuelles…”

 

Nous savons trop bien que ces conclusions vont être utilisées par ceux là même qui voient tout le profit qu’ils pourront en tirer…

A ce propos, rappelons quelques chiffres émanant des publications ministérielles

Entre 2001 et 2002, 257 écoles maternelles ont été fermées alors que 10 000 élèves supplémentaires étaient pré scolarisés.

En 2000/2001, 35,3 % des enfants de deux ans étaient pré scolarisés dans les écoles maternelles publiques, ils n’étaient plus que 34,7% en 2001/2002 et 32% en 2002/2003…