Article de L’Ecole Syndicaliste n°333,

bulletin national du SNUDI FO, novembre 2003

 

Le “grand débat sur l’avenir de l’école”

 

Les dés sont pipés

 

Le débat est libre. Totalement. C’est le pays qui doit dégager ses priorités…Si nous lui tendons un large filet de questions c’est pour ramener les bons poissons“.

C’est en ces termes que Claude Thélot, président de la commission chargée de piloter le “grand débat sur l’avenir de l’école“ présente l’opération.

“Pour ramener les bons poissons“, la commission a donc établi un programme de 22 questions à débattre et de sous-questions. Ce programme, accompagné d’une synthèse du dia-gnostic de l’école établie par le haut conseil de l’évaluation, le ministère le fait diffuser à plus de six millions   d’exemplaires sous le titre “L’école,

60 millions d’avis à partager“.

Préfets, sous préfets, inspecteurs d’académie… tous sont sur le pied de guerre pour organiser à compter du 17 novembre 15 000 réunions dans tout le pays.

Tout semble donc prêt pour faire croire aux gens qu’on va tenir compte de leur avis et que les “partenaires“ vont pouvoir établir un diagnostic partagé qui servira de base à la rédaction d’une nouvelle loi d’orientation pour l’éducation.

Voilà pour le côté jardin, la face “grand public”.

Mais, il y a le côté cour, la face cachée du dispositif.

Cette face cachée, elle prend la forme d’un document que le ministère de l’Education nationale a remis au Premier ministre et qui s’intitule “Mise en œuvre des stratégies ministérielles de réforme“.

Dans l’introduction, on y lit :

“(…) Un débat national sur l’avenir de l’école vient de s’engager. Ce débat préparera une nouvelle loi d’orientation sur l’éducation (…). D’ici là, les propositions de stratégie ministérielle de réforme porteront principalement sur les fonctions administratives et les modes d’organisation de l’administration centrale et des services déconcentrés afin le moment venu d’être capable de mettre en œuvre de la manière la plus efficace possible les orientations fixées par la nation“.

En clair, cela veut dire que pendant que vous discutez, le ministère s’occupe des choses sérieuses : il prépare le terrain pour la mise en œuvre de la réforme.

Exemple d’ action de réforme en terme d’organisation des établissements scolaires :

“(…) la stratégie ministérielle vise à les rendre plus autonomes. Les écoles en milieu rural seront mises en réseaux, eux-mêmes animés par des coordonnateurs, ce qui leur donnera la masse critique qui aujourd’hui leur manque souvent pour mener des projets et des actions propres“?

C’est exactement ce que M. Darcos,     ministre de l’enseignement scolaire a déclaré au Conseil des ministres.

Cela donne toute sa saveur à la question posée dans la fiche n° 18 du “Grand débat” :

“L’école doit-elle demeurer communale au risque de disparaître en milieu rural ou faut-il développer les réseaux d’écoles ?”

Mais, puisqu’on vous dit que le débat est libre…

 

Poser les questions…

n’est-ce pas déjà y répondre ?

 

Extraits choisis du questionnaire

 

Nous vous livrons quelques morceaux choisis du questionnaire qui doit servir de base à l’organisation du “débat”.

 

Ø L’école maternelle remise en question

Fiche n° 02

Qu’est-ce qu’on doit attendre de l’école maternelle ? Faut-il scolariser les enfants dès l’âge de 2 ans ? Faut-il faire évoluer l’organisation de la maternelle? Faut-il renforcer le rôle de préparation au CP de la grande section de maternelle ?

Fiche n° 20

Est-ce le même métier en maternelle et en primaire ? En particulier faut-il un professeur des écoles recruté à bac + 3 pour encadrer de jeunes enfants de 2 et 3 ans ?

 

Ø Revoilà le statut de directeur d’école, chef d’établissement

Fiche n° 20

Faut-il définir un métier de directeur d’école primaire ? Ne devrait-on pas élargir le recrutement des chefs d’établissement au-delà des personnels de l’Education nationale, et comment faire en sorte de sélectionner, dans tous les cas, de futurs “patrons” ?

 

Ø La laïcité à l’encans

Fiche n° 01

Quelles sont les formes acceptables de manifestation d’appartenances religieuses ou culturelles au sein de l’école laïque ?

 

Ø Le règlement intérieur à la place du statut national

Fiche n° 15

Faut-il expliciter dans le cadre du règlement intérieur des établissements les devoirs de l’enseignant vis-à-vis des élèves ?

Fiche n° 16

Faut-il définir une sorte de “contrat éducatif partagé” entre parents et enseignants, incluant les droits et les devoirs respectifs de chacun ?

 

Ø Le salaire au mérite

Fiche n° 21

Faut-il et si oui comment tenir d’avantage compte du mérite ou de la réussite dans la gestion des carrières ?

 

Ø Des établissements “autonomes” qui recruteraient leur personnel… ou la voie ouverte vers la privatisation

Fiche n° 18

En 2002 le gouvernement a décidé de procéder à une nouvelle répartition des rôles et des compétences :

la question de la mise en réseau des écoles primaire et de leur statut est posée

dans le second degré, plusieurs pistes sont explorées, elles concernent l’offre de formation, le transfert des personnels ouvriers et de service ainsi que celui de services (so-ciaux, santé et orientations) ;

(…) Toutes ces pistes jointes à la possibilité d’expérimenter pourraient se traduire par une transformation en profondeur et une variété accrue du paysage éducatif.

Quels devraient être les nouveaux domaines de compétence des établissements en matière administrative, éducative et pédagogique ?

Ne pourraient-ils pas, par exemple, procéder en cas de nécessité, à des embauches d’enseignants remplaçants…

Fiche n° 19

L’établissement doit avoir un rôle dans l’affectation des personnels (enseignants, non enseignants, équipe de direction) qui y exercent ? Lequel ? (…) Les caractéristiques des établissements et/ou son projet doivent-ils être pris en compte ?

 

 

L’exemple de la “mise en réseau des écoles”

 

Dans la fiche n° 18 du “grand débat”, la question suivante est posée :

“L’école doit-elle demeurer communale au risque de disparaître en milieu rural ou faut-il développer les réseaux d’écoles ?”

La manière même de poser la question induit la réponse voulue par le ministère. C’est tellement vrai que le ministre délégué à l’enseignement scolaire a annoncé que les “réseaux d’écoles” seraient généralisés dès la rentrée 2004.

Et, afin de permettre d’alimenter le débat, un rapport est sorti sur le sujet.

Il est l’œuvre de l’Inspection générale de l’Education nationale (IGEN)  et l’Inspection générale de l’administration de l’Education nationale et de la recherche (IGAENR). Pour ces hauts fonctionnaires,  “deux stratégies d’évolution s’offrent à l’Etat et à ses partenaires : la stratégie de la réforme par les textes et la stratégie de l’action immédiate dans le cadre de démarches expérimentales. Ces deux stratégies ne sont pas exclusives et les inspecteurs généraux présentent à ce sujet un certain nombre de suggestions”.

Parmi leurs suggestions:

“On peut envisager de doter l’enseignement primaire (...)

· d’une structure pédagogique minimale de trois classes correspondant aux trois cycles d’enseignement : faute d’effectif suffisant pour justifier trois classes, il n’y aurait pas d’école proprement dite mais un “site de scolarisation”.

Le rapport veut  “donner une base légale à l’école intercommunale et à l’école multisites“. (…) “Les avantages de l’officialisation des groupements d’écoles - qu’ils s’entendent des écoles redéfinies et de leurs groupements en réseaux - sont nombreux.

· La gestion administrative des enseignants se fera sur une base d’affectation plus large, facilitant la répartition des services dans les classes et le travail en équipe pédagogique.

· Le fonctionnement institutionnel sera simplifié et l’expression des partenaires de l’école sera renforcée par le groupement des conseils en une instance unique.

· Enfin la direction d’école, se situant à un niveau d’action plus ample, aura plus d’envergure et d’efficacité“…

 

Concernant la répartition des compétences ou le problème de l’intercommunalité, le rapport estime qu’il “conviendrait d’ajuster les régimes de financement de l’école intercommunale (…) on peut imaginer un nouveau système distinguant le cas des communes qui n’ont plus d’école de celui des communes qui ont des “sites scolaires“ et, pour ces dernières, instaurer l’obligation d’adhérer à un syndicat de communes au moins pour le fonctionnement de l’école“.

 

Quant au but final, la conclusion du passage sur les “suggestions relatives aux textes fondateurs“ est éclairante et se passe de commentaires.

“Quitte à préciser, actualiser et même créer un nouveau statut légal des écoles et de leurs regroupements, on peut évidemment se demander s’il ne faudrait pas aller jusqu’à les doter d’un statut d’établissement public. A la réflexion, cette question paraît prématurée au regard des changements préalables à opérer dans les mentalités. Tant sur l’attachement des maires et des parents d’élèves à l’école du village ou du quartier, que sur celui des habitudes de travail internes à l’Education nationale, les adaptations, bien que nécessaires, sont encore assez novatrices pour que l’on prenne le temps de la concertation indispensable à leur élaboration et pour qu’on en fasse l’expérimentation“.

 

Comme vous pouvez le constater, les inspecteurs généraux ont des idées. Ces idées, selon les représentants du ministre que nous avons rencontrés le 16 octobre dernier, seront bien évidemment partie intégrante du débat sur l’avenir de l’école et, si elle devaient être appliquées, ce ne serait qu’à l’issue de la discussion dans le cadre de la nouvelle loi d’orientation…

Au fait, comment est formulée la question sur les réseaux d’écoles ???

 

 

Le calendrier fixé par le gouvernement

 

- 7 novembre – 17 janvier : tenue des réunions locales (le gouvernement voudrait en organiser 15 000)

- janvier 2004 : remise des synthèses des débats locaux

- mars 2004 : la commission établit son document et une synthèse des débats

- mai-juin 2004 : la synthèse est de nouveau discutée “sur le terrain”.

- Automne 2004 : “Remise au ministre du diagnostic partagé sur l’école”.

- 2005 : Vote de la loi d’orientation.

 

Pour la commission d’organisation du débat, il ne fait aucun doute que le diagnostic sera “partagé”.

Mais puisqu’on vous dit que le débat est totalement libre…